[a.MUA]

atelier Morphose Urbaine et Architecturale

Du Forum des Halles au centre social?

Il semblerait qu’il y ait une vie ici-bas... Après s’être faite accoster à l’entrée au niveau de la rue pour un fameux "C'est d'la bonne", je descends les escalators dans la masse de gens pressés. Arrivée devant la place Carrée, je marque une pause (debout) pour observer tout le mouvement, car ici, pas d’endroit pour s’arrêter, pas de banc: le marathon commence. Au bout d’une minute à peine, un vigile s’élance vers moi et me demande ce que je fais là. Trouvant une excuse bidon du genre "j’attends quelqu’un", il me rétorque: "Ici, on ne s’arrête pas, on circule". Mais déjà, une horde d'excités s’engouffre dans la FNAC: un RER est arrivé.

Le Forum constitue pour les Parisiens le coeur de la capitale et [...] pour les banlieusards quelque chose comme le prolongement parisien de leur monde, la tête d’une pieuvre dont les tentacules seraient des lignes du RER, enfoncées au cœur des banlieues.

Pierre-François Large, Des Halles au forum, Editions L’Harmattan, Collection Villes & Entreprises, 1992

Pour pouvoir accéder à un lieu, il faut avant tout qu’il soit bien desservi, que l’on puisse s’y rendre en transports en commun. Le Forum des Halles, c’est une véritable plaque tournante au cœur de Paris. Une gigantesque station de métro et RER (1 million de voyageurs par jour) permet d’y accéder en quelques instants depuis la banlieue. Une véritable pompe à clients. Et la foule déborde des rames pour ensuite se rendre à Beaubourg (jusqu’à 40000 visiteurs par jours, deux fois plus que le Louvre). Une vraie fourmilière!

Le Forum des Halles, c’est aussi une machine commerciale dans toute sa splendeur. On y trouve un nombre impressionnant de boutiques en tout genre, et malgré tout il semble se décomposer en sous-systèmes spatialement repérables: chaque niveau est fonctionnellement différent et propose dans une relative proximité spatiale un choix de produits et services du même type. Or, si l’on a regroupé par niveau des types de magasins, n’est-ce pas aussi imposer de façon autoritaire et arbitraire des perceptions et donc des pratiques différentes au sein de ce même lieu?

En d’autres termes, la population qui fréquente la FNAC n’est pas la même que celle des vêtements. Le Forum des Halles est ainsi vécu comme un espace fragmenté, morcelé: peu de gens le connaissent en entier. On retrouve ici la problématique du marketing (comment cibler une clientèle, comment la faire acheter) liée à celle de l’enfermement (dissociation des clients donc des produits offerts, le tout enfermé dans une "boîte" et exacerbé par le nombre croissant d’agents de sécurité et de caméras de surveillance).

La discipline procède d’abord à la répartition des individus dans l’espace. Pour cela, elle met en oeuvre plusieurs techniques. 1. La discipline exige parfois la clôture, la spécification d’un lieu hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même [...] 2. Mais le principe de "clôture" n’est ni constant, ni indispensable, ni suffisant dans les appareils disciplinaires. Ceux-ci travaillent l’espace d’une manière beaucoup plus souple et plus fine. Et d’abord selon le principe de la localisation élémentaire ou du quadrillage. A chaque individu, sa place.... L’espace disciplinaire tend à se diviser en autant de parcelles qu’il y a de corps ou d’éléments à répartir...

Michel de Foucault, Surveiller et Punir, Naissance de la Prison, éditions Gallimard,1975

Enfin, tous les endroits où il était possible de se regrouper disparaissent petit à petit. N’oublions pas que la vue d’un homme immobile, voire d’un groupe, déclenche tout de suite une série de questionnements "qu’est-ce qu’il fait là tout seul? Que me veut-il?". Bref, le sentiment d’insécurité.

Et pourtant, en dehors des boutiques, que trouve-t’on au Forum des Halles? La Maison des Conservatoires, une discothèque, un auditorium de 600 places, les grandes enseignes, des restaurants, une piscine et sa serre tropicale, une vidéothèque, un centre océanographique, 20 salles de cinéma, un espace photographique et un centre d’animation (vidéo, anglais, informatique, œnologie, danse moderne, gymnastique...). Le tout agrémenté de rues et de places. C’est-à-dire une série de lieux d’"être ensemble" (payants), dits facteurs de sociabilité si ce n’est que les rues et les places ne servent qu’à circuler, pas à s’arrêter. Il n’empêche: tous ces équipements rencontrent un fort succès et ce, depuis 25 ans [NDLR: 25 ans en 2002 = 40 ans aujourd'hui]. Le Forum des Halles serait-il un lieu social? Ce qui le différencie d’un hypermarché de périphérie: c’est qu’on est presque à mi-chemin entre le centre commercial et la place de la Mairie.

Plaque tournante, machine commerciale, lieu social: un forum. Ce n’est pas un centre commercial de périphérie, mais c’est comme un centre-ville, un "espace minéral underground" (J. Baudrillard), une deuxième ville sous terre. Choisir de visiter le Forum des Halles s’imposait comme exemple de ville dans la ville, de "vie dans la vie", où l’on retrouve ces diverses activités. Le forum sert de contre-poids aux centres commerciaux de périphérie car le centre-ville a une fonction particulière: le symbole historique, l’imbrication des activités sont essentiels. Ces activités sont liées à la culture, on peut dire que l’on vient s’"acculturer" au contact des autres, de la rue, des vitrines. Le commerce y exerce un véritable rôle culturel, se superposant à sa fonction mercantile traditionnelle. Cette fonction d’"acculturation" qu’exerce le Forum est complémentaire de celle de Beaubourg. Le fait qu’ils soient placés à peu de distance est ainsi une condition idéale, attirant les publics les plus divers. Cela permettrait-il de lutter contre une ségrégation urbaine, contre les ghettos? Cette synergie semble produire plus et autre chose, un attrait bien supérieur à celui des centres commerciaux de périphérie, même si ces derniers sont de mieux en mieux achalandés. On dirait bien qu’une vie, une animation sociale puissent se développer dans un centre commercial.